Source: Bulletin SHAP, tome XVI (1889) pp. 289-311.
QUELQUES NOTES
SUR ISSIGEAC.
Cédant aux
sollicitations de plusieurs habitants d'Issigeac, nous avons recueilli et mis
en ordre quelques renseignements sur celte petite ville. Nos sources ont été :
le Gallia christiana, le Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, les Chroniques de Jean Tarde, l'Histoire du Périgord, par Dessalles, et, pour tout ce qui
regarde le protestantisme à Issigeac, les papiers qui ont été trouvés sur une
poutre dans une vieille maison appartenant à la famille Gaillard, d'Issigeac.
Ces papiers avaient été remis à la famille Nodon de Monbaron, qui a bien voulu
nous les communiquer par l'intermédiaire de M. le curé d'Issigeac.
Il y a quatre
pièces principales :
1°
Mémoires des pièces pour l'Eglise
d'Issigeac, que j’ay laissées chez M. Desgalenières, advocat ez conseils ;
2° Un abrégé des
registres de baptêmes, de mariages, d'abjurations, etc ;
3° L'ordonnance
de l'Intendant du roi, que nous publions intégralement ;
4° Une requête
des habitants d'Issigeac que nous publions aussi.
L'abrégé des
registres va de 1566 à 1665.
Pour ce qui est
de l'état d'Issigeac en 1789, nous avons puisé nos renseignements dans les
notes que nous a laissées un vieillard, mort presque centenaire, il y a une
vingtaine d'années.
Ancienneté d'Issigeac — Sa coutume
— Serment de fidélité prêté à Edouard Ier, roi d'Angleterre, en
1268.
Le premier
document qui, à notre connaissance, fasse mention d'Issigeac, est une bulle du
pape Eugène III, adressée en 1053, à Raymond de Fénelon, abbé de Sarlat. Le
monastère d'Issigeac y est nommé comme faisant partie des dépendances de
l'abbaye de Sarlat, et, d'après cette bulle, aucun archevêque ni évêque ne peut
interdire ou frapper d'excommunication ce monastère, qui a le titre de doyenné et se rattache à l'ordre des Bénédictins. A quelle époque
faut-il le faire remonter? C'est ce que nous ne saurions dire. Quant à la ville
elle-même, il est à croire qu'elle avait précédé le monastère.
Avant de relater
les faits qui composent son histoire, nous croyons utile et intéressant à la
fois de faire connaître deux documents d'une haute importance : la coutume
d'Issigeac et l'espèce de traité passé entre les prud'hommes de cette ville et
Edouard Ier, roi d'Angleterre et duc de Guyenne.
Voici d'abord la
coutume rédigée en 1298 (1) :
1° Les habitants
d'Issigeac n'ont ni maire, ni consuls, ni procureurs, ni syndics ; ils ne
prétendent point en avoir dans le présent ni dans l'avenir, si ce n'est du
plein gré du doyen, leur seigneur temporel, à qui ils promettent de rester
fidèles.
2° Le doyen a
sur eux haute et basse justice, haut et bas domaine.
3° Les habitants
d’Issigeac sont francs, libres et exempts, vis-à-vis de l'abbé de Sarlat et du
doyen, de toute quête, taille, droit de gîte, etc.
Toutefois, une
taille peut être exigée pour réparer les murs et les fossés de la ville, ainsi
que les chemins publics. Dans ce cas elle est établie par le doyen ou son
lieutenant, et les prud'hommes d'Issigeac.
4° Les habitants
d’Issigeac ont la moitié de la quote de Saint-Félicien, de Monmarvès, de
St-Cyprien, de Montsaguel et de Montaut, etc., que le doyen leur donne en fief.
Les habitants d'Eyrenville, de Saint-Perdou, ont également la moitié de la
quote de leurs paroisses que le doyen leur donne en fief.
5° Nul ne peut
être arrêté et voir ses biens séquestrés, si ce n'est pour meurtre.
6° Les biens
d'aucun habitant ne peuvent être vendus publiquement, si ce n'est pour crime
avéré et confessé, et les instruments qui lui servent à gagner sa vie ne
doivent pas être saisis.
7° Quiconque
aura frappé quelqu'un par malice avec la main, le pied, etc., jusqu'à
l'effusion du sang, paiera une amende de cinq sols au doyen, si la faute a été
commise le jour ; de dix sols, si elle a été commise la nuit. Il sera tenu en
plus de réparer l'injure si le patient le demande. S'il a frappé avec un
glaive, avec du fer, un os, de la terre, un bâton, une pierre, de la glace ou
une tuile et pendant la nuit, il paiera six livres et dix sols au doyen.
Celui qui aura
souffert l'injure n'aura rien à payer, s'il n'a rien dit, à moins qu'il ne soit
constaté qu'il a lutté avec son adversaire. Dans ce cas, il rendra au doyen ce
qu'il a reçu comme dommage-intérêt.
8° Si un animal
a fait couler le sang, causé du dommage, le maître de cet animal paiera une
amende, ou donnera l'animal pour le dommage causé. Que si l'animal a causé la
mort, on aura recours au doyen.
9° Si quelqu'un
a volé une somme s'élevant à douze deniers ou même moins (les vols de fruits
mis à part), qu'il soit promené dans la
ville ou exposé en public ; ou bien qu'il paie vingt sols au doyen si le vol a
été commis pendant le jour, et quarante si c'est la nuit. S'il a volé la valeur
de cinq sols ou plus pendant le jour, qu'il soit condamné à soixante-cinq sols;
si le vol a été commis la nuit, qu'il soit condamné à soixante-cinq livres et
dix sols.
Pour le premier
vol, s'il ne peut payer l'amende, qu'il soit mutilé selon le délit ; s'il vole
une seconde fois ou plus, qu'il soit mis à mort et ses biens confisqués.
10° Si, pour une
cause quelconque, quelqu'un est condamné à mort, tous ses biens meubles
appartiennent au doyen ; les immeubles qu'il tient en fief du doyen ou d'autres
seigneurs, reviennent à leur suzerain respectif.
11° Si quelqu'un
est convaincu de fausses mesures, aune, coudée, etc., pour la première fois, il
paiera cinq sols au doyen, et dans la suite, l'amende sera doublée toutes les
fois qu'il tombera dans la même faute. Celui qui aura volé le leude (2), paiera
cinq sols ; celui qui aura volé le péage (3), en paiera soixante-cinq.
12° Ceux qui
auront été pris par le bailli et par deux hommes probes, commettant la
fornication ou l'adultère, seront promenés nus par la ville ou paieront vingt
sols au doyen.
13° Aucun
habitant, pour quelque motif que ce soit, ne peut être contraint de se battre
en duel, à moins qu'il n'ait offert lui-même de se justifier par ce moyen. Si
quelqu'un veut l'y contraindre, qu'il paie cinq sols au doyen.
14° Nul ne peut
être mis à la question ou soumis à la torture, quel que soit le crime dont on l'accuse, à moins que la réputation ne soit
mauvaise et que la voix publique ne lui attribue ce même crime.
15° Le doyen ne
peut retenir les terres des habitants ou leurs autres biens à titre de fief ou
arrière-fief.
16° Le doyen accorde
qu'il y ait des mesures. Chaque étranger lui donne à lui ou à ses leudes un
denier pour mesurer un setier de blé ; une obole pour mesurer une hémine
(moitié du setier).
Permis à chacun
d'établir dans le même lieu un mesurage, moyennant la somme de vingt sols pour
commencer, et de cinq sols à payer annuellement.
17° Les
testaments qui ne seraient pas faits selon les formes légales, sont valides
néanmoins, s'ils ont été faits en présence du chapitre ou de deux hommes de la
localité.
A défaut de
notaire, le testament fait devant sept témoins est valide.
18° Si quelqu'un
meurt intestat et sans héritier présent, ses biens sont remis par le doyen à
deux prud'hommes pour les garder durant un an et un jour. Si l'héritier se
présente avant l'expiration du délai, les biens du défunt lui sont remis , mais
les meubles et immeubles que le défunt tenait en fief du doyen retournent à ce
dernier, et les autres immeubles à leurs suzerains respectifs, après avoir
prélevé le montant des dettes.
19° Le jeudi a
lieu un marché franc. Toute personne peut y venir librement et vendre ses
marchandises, en acquittant le tribut ordinaire, pourvu qu'elle n'ait commis ni
meurtre, ni incendie dans la ville.
20° Les poissons
sont vendus sans rien payer, exceptés l'esturgeon, pour lequel on paie six
deniers; le saumon, pour lequel on en paie deux, et le clause, pour lequel on
paie un denier par dizaine.
21° Le doyen
perçoit dix deniers pour chaque centaine de harengs. Quiconque les porte pendus
à son cou, en doit trois au doyen.
22» Tout
marchand est cru sur son serment jusqu'à concurrence de douze deniers. Les
livres de tout honnête marchand font foi jusqu'à concurrence de vingt sols, à
condition qu'il affirme, sous serment, la sincérité et la régularité de ses
écritures.
23° Le doyen institue
dans la ville un ou plusieurs notaires chargés de dresser les actes
authentiques. Les actes relatifs à l'aliénation des fiefs ou arrière-fiefs du
doyen doivent, à peine de nullité, être revêtus du sceau de ce dernier. Si la
valeur de la chose ne dépasse pas cent sols, on doit payer douze deniers pour
le sceau ; si elle dépasse cent sols, on paie une livre de cire.
24° Pour
l'enterrement d'un enfant de six ans et au-dessous, on paie seize deniers et on
peut garder les draps.
Pour
l'enterrement d'un enfant de six à douze ans, on paie cinq sols pour les draps,
si on veut les garder, et cinq sols pour la sépulture.
Pour
l'enterrement des personnes qui ont douze ans et plus, les riches paient seize
sols pour la sépulture, et cinq sols pour les draps; les personnes de condition
médiocre paient dix sols ; les personnes d'une condition inférieure en paient
sept.
Si pour un
enterrement les particuliers apportent des draps de soie ou pourpre, ces draps
restent pour le service du monastère, et, dans ce cas, on n'a rien à payer,
excepté pour l'ancien drap en soie de la confrérie.
25° Pour les
mariages les riches paient huit sols ; les pauvres en paient cinq. Si celui
qui se marie quitte la paroisse, il en paie douze.
26"
Quiconque habite une année entière dans Issigeac et les paroisses qui en
dépendent, paie douze deniers pour le séjour ; un denier pour la confession, un
denier pour le cierge pascal.
Les femmes
paient douze deniers pour leurs relevailles.
27° Le doyen
d'Issigeac dépend de l'abbé et du couvent de Sarlat. Le seigneur abbé nomme le
doyen.
Le doyen est
seigneur temporel d'Issigeac, d'Eyrenville, de Saint-Perdou, de Saint-Cyprien,
de Monsaguel, de Montaut, de Monmarvès, de Saint-Quentin, de Boisse, de
Ribagnac Ces localités dépendent d'Issigeac et jouissent des mêmes franchises.
28° On peut en
appeler du doyen à l'abbé de Sarlat.
29° Tout
habitant est tenu de suivre, avec ou sans armes, le doyen ou son bailli, pour
la défense de la ville, de la paroisse et des localités ci-dessus désignées.
30° Les murs,
les fossés et les portes d'Issigeac appartiennent au doyen. Il confie à qui il
veut les clefs des portes, pourvu que le gardien ait bonne renommée.
31° Les
habitants peuvent adosser leurs maisons aux murs de la ville, bâtir sur ces
murs, y pratiquer des fenêtres et des cabinets d'aisance jusqu'à la hauteur de quinze pieds.
Pour les fenêtres et les cabinets on paie une livre de cire au doyen. Les
fosses doivent avoir quarante pieds d'amplitude.
32° Les rues et
les places communes dépendent du doyen.
33° Quiconque
travaille pour les habitants d'Issigeac doit une journée par an au doyen, sans
rétribution. Sont exceptés les forgerons, les tisserands et les raccommodeurs.
34° A la
Saint-Martin-d'hiver, tout cordonnier tenant boutique à Issigeac ou dans les
faubourgs, doit une paire de souliers de la meilleure qualité qu'il possède, en
outre de deux autres paires, et deux paires de sandales avec les attaches, au
doyen.
35° Chaque
coutelier doit au doyen un couteau par an et les maréchaux-ferrants doivent
ferrer ses chevaux et ses bêtes de somme, ainsi que les chevaux et les bêtes de
somme de l'un de ceux qui habitent avec lui.
36° Le doyen est
chargé du spirituel des localités susnommées.
37° Il établit
chaque année deux sergents ou plus, afin d'exercer leur office dans la ville (4).
Comme nous
l'avons dit plus haut, cette coutume fut rédigée en 1298 ; mais elle régissait
les habitants d’Issigeac avant cette époque, puisque il y est fait allusion
dans l'acte par lequel les prud'hommes d’Issigeac prêtent serment de fidélité
à. Edouard Ier, roi d'Angleterre et duc de Guyenne. Cet acte fut passé, le 29
juin 1268. Il est rédigé en langue romane. En voici les principaux articles (5) :
I. Sachent tous présents et à venir que les prud'hommes et les membres de
la commune d'Issigeac, de leur propre et libre volonté, sans y être contraints
par fraude, par ruse et par violence, mais suivant le droit et la vérité,
reconnaissent et accordent à l'honorable et noble seigneur Edouard, fils aîné
et héritier du noble roi d'Angleterre, que, de toute ancienneté, il a droit à
la foi et à l'hommage de tous les habitants de la ville d'Issigeac, sauf
toutefois la seigneurie et les droits du doyen et du monastère du dit lieu.
II. Cet hommage doit être rendu de la manière suivante :
Quand le seigneur roi ou ses lieutenants du duché de Guyenne requièrent
les habitants de prêter serment, il doit d'abord leur jurer de les défendre
envers el contre tous, de maintenir et d'améliorer leurs bonnes coutumes et de
supprimer les mauvaises. Après quoi les prud'hommes lui jureront de veiller à la garde de sa personne, de ses gens et de ses
droits, et de les préserver de toute violence au dedans et au dehors de leur
ville selon leur pouvoir, sauf la seigneurie et les droits du doyen et du
monastère susdits.
III. Les
habitants d'Issigeac reconnaissent devoir au roi Edouard l'ost et la chevauchée
dans toute l'étendue du diocèse de Périgueux, et encore, en d'autres lieux,
pourvu que dans leurs expéditions les plus longues, il leur suffise d'un jour
d'été pour revenir dans leurs foyers.
IV. Ils
s'engagent à payer au
roi un cens de douze deniers par feu à la fête de la Saint-Martin-d'hiver et
dans l'octave de la dite fête. De son côté, le roi s'engage à les défendre et à les garantir de tous dommages.
V. Le roi ne peut exiger d'autres redevances de la commune sans le
consentement des prud'hommes.
CHAPITRE
II.
Principaux faits de l'histoire
d'Issigeac, depuis la fin du treizième siècle jusqu'au milieu du seizième.
Après avoir fait
connaître la coutume d'Issigeac.et ses engagements envers son suzerain, nous
allons indiquer dans l'ordre chronologique les principaux faits de son histoire
que nous avons recueillis.
En 1287, un
moine de l'abbaye de la Sauve-Majeure fut tué à Issigeac Le doyen d'Issigeac et
l'abbé de Sarlat furent déclarés responsables et condamnés à une amende de deux
cents livres tournois. Par ordre du conseil du roi, le sénéchal du Périgord fut
chargé de percevoir l'amende.
Treize ans plus
tard, la ville d'Issigeac fut saccagée par Renaud de Pons, seigneur de Bergerac-
Ce seigneur
prétendait avoir des droits sur Montaut, Saint-Perdou, Montsaguel et Ribagnac.
Le doyen d'Issigeac, qui depuis trente ans jouissait paisiblement de ces
droits, eut recours au Parlement de Bordeaux. Cette démarche irrita très fort
Renaud de Pons, qui marcha contre Issigeac à la tête de 600 hommes. Il attaqua
le moulin du doyen, mit le feu à plusieurs maisons, ruina les faubourgs, pilla
la ville, et, après avoir commis toutes sortes de méfaits, se retira emportant
un riche butin. Le doyen et les habitants d'Issigeac portèrent plainte au
Parlement de Bordeaux, qui condamna le seigneur de Bergerac et ses complices à
rétablir les choses en leur état et à payer cinq mille livres de
dommages-intérêts.
Quatre ans
après, Issigeac reçut la visite de Bertrand de Goth, archevêque de Bordeaux,
qui devint pape sous le nom de Clément V. Il arriva, le 18 septembre 1304, et
passa la journée du 19 à Issigeac, vivant, lui et sa suite, aux dépens du
doyen.
Les archevêques
et évêques voyageaient généralement avec une suite nombreuse, et c'était une
véritable dépense que de les recevoir. Le concile de Latran, en 1179, avait
fixé le nombre des chevaux à quarante pour les archevêques, à vingt pour les
évêques. Nous ne savons quelle était la suite de Bertrand de Goth ; mais elle
devait être considérable et plusieurs monastères refusèrent de recevoir les
délégués qu'il envoyait pour les visiter.
Le doyen d’Issigeac,
probablement celui qui avait reçu Bertrand de Goth, et qui s'appelait Amblard,
fut assassiné quelques années après le passage de l'archevêque. Hélie de
Saint-Dizier fut accusé d'avoir pris part à ce crime, et fut banni de France
par sentence du sénéchal du Périgord. Les biens d'Hélie tombèrent en commise et
le successeur d'Amblard en disposa, par acte du mois de novembre 1310, en
faveur d'Hélie Urdimala, frère du doyen assassiné. Ces biens étaient situés
dans les paroisses dTssigeac, de Montaut, de Montsaguel, de Ribagnac,
d'Eyrenville, de Montmarvès et de Boisse. Hélie Urdimala fit hommage au nouveau
doyen et prêta serment de fidélité entre ses mains.
Ce nouveau doyen
était un personnage remarquable et s'appelait Bertrand du Poujet. Il fut promu
au cardinalat en 1317, et fut le dernier doyen d’Issigeac relevant de l'abbaye
de Sarlat.
Au mois de
janvier 1317, le pape Jean XXII érigea Sarlat en évêché. Raymond-Bernard
d'Aspremont de Rocquecorn occupa le nouveau siège en 1318. Trouvant que les
revenus de l'abbaye de Sarlat n'étaient pas suffisants pour faire face aux
charges épiscopales, il pria Jean XXII de réunir le doyenné d’Issigeac avec
toutes ses dépendances à la mense épiscopale de Sarlat. Le pape accéda à sa
demande par une bulle datée d'Avignon, 7 du mois d'août 1318.
Il était stipulé
dans la bulle que les évêques de Sarlat ne jouiraient des revenus du doyenné
qu'à la mort de Bertrand du Poujet. Cette mort arriva le 2 février 1351, et
c'est seulement à partir de cette époque que les évêques de Sarlat jouirent des
revenus du monastère d'Issigeac. Pendant de longues années, la ville d'Issigeac
vécut paisiblement sous ce nouveau régime, qui ne devait différer que très peu
de l'ancien.
En 1437, Rodrigo
de Villandro, lieutenant du roi Charles VII, prit Issigeac sur les Anglais et y
mit une garnison de Français afin de conserver la ville sous l'obéissance du
roi. Ainsi Issigeac, qui, depuis le mariage d'Eléonore de Guyenne avec Henri
Plantagenet(1154), avait été sous la domination anglaise, repassa sous la
domination française. Ajoutons, pour être entièrement dans le vrai, qu'en 1200
Philippe-Auguste ayant confisqué l'Aquitaine sur Jean-Sans-Terre, Issigeac
était redevenu français et l'était resté jusqu'en 1259, époque à laquelle saint
Louis rétrocéda une partie de l'Aquitaine au roi d'Angleterre Henri III.
En 1488,
l'évêque de Sarlat, Pons de Salignac, sollicita et obtint du pape Innocent VIII
la sécularisation de tous les religieux du monastère d'Issigeac. On y établit à
la place sept chanoines : un prévôt, chargé du soin des âmes; un sacristain,
chargé du culte, et cinq chanoines ordinaires. On montre encore la maison du
prévôt et le pré des chanoines.
Armand de
Gontaud de Biron, qui avait été évêque de Sarlat de 1498 à 1519, et qui, en
donnant sa démission,s'était réservé la jouissance des revenus du doyenné
d'Issigeac, acheva, en 1527, de bâtir l'église que nous voyons encore et où ses
armes sont reproduites plusieurs fois. La construction avait duré quarante ans
et le monument ne demeura que quarante ans intact. En 1567, les protestants y
mirent le feu et le démolirent en partie.
Ce bienfaiteur
d'Issigeac est enterré au château de Biron, où il mourut en 1531.
CHAPITRE
III.
Le protestantisme à Issigeac jusqu'en 1630.
Le
protestantisme commença à se répandre à Issigeac vers le milieu du XVIe
siècle. L'historien Tarde nous apprend que le 18 mai 1561, les églises de
Montaut, de Montmarvès et autres furent pillées par les protestants. A
Issigeac, ils brisèrent les autels, brûlèrent les reliques, les livres et les
habits sacerdotaux. Quelques jours après, les églises de Saint-Perdou et de
Montsaguel eurent le même sort.
S'étant rendus
entièrement maîtres de l'église d’Issigeac, les protestants en interdirent
l'entrée aux chanoines et aux catholiques. Ceux-ci se plaignirent à l'autorité
civile, et, le 7 octobre 1561, le sieur de Burie, lieutenant du roi en Guyenne,
vint exprès à Issigeac pour rétablir l'ordre. Il décida que les chanoines et
les catholiques se serviraient de l'église jusqu'à neuf heures du matin, et
depuis vêpres jusqu'au soir ; les protestants auraient pour eux le reste du
temps, c'est-à-dire depuis neuf heures jusqu'à vêpres.
Cet arrangement
ne tint pas. A peine le lieutenant du roi parti, les protestants cessèrent de
tenir compte de ses décisions : ils chassèrent les chanoines de l'église après
les avoir maltraités et brisèrent entièrement les autels.
Six ans plus
tard, en 1567, ils allèrent plus loin. Après avoir coupé la tête à un prêtre,
et contraint à coups de bâtons les catholiques d'assister au prêche, ils mirent
le feu à l'église et en démolirent le chœur. La simple inspection de l'édifice
actuel nous prouve l'exactitude de l'historien qui nous rapporte ces faits. On
voit encore plusieurs assises de l'ancienne construction.
Tarde nous
apprend encore qu'en 1574, pendant que les protestants assiégeaient Sarlat,
François de Salignae se rendit à Issigeac. Il fit promettre aux habitants de la
ville de l'une et l'autre religion de vivre en paix sous son obéissance en bons
et fidèles sujets. Au lieu de tenir leurs promesses, les protestants firent
venir de Bergerac le capitaine Panissaut et l'introduisirent dans la ville. Le
fait eut lieu le 2 mars, sur la pointe du jour. Se voyant trahis par les
protestants, les catholiques les plus qualifiés se retirèrent dans la maison
épiscopale. Ils furent aussitôt assiégés et sommés de se rendre. Sur le soir,
le seigneur de Boisse, Armand Escodéca, vint trouver l'évêque et les
catholiques et les décida à se rendre. II fut convenu que, moyennant 4,000
livres, l'évêque, ses serviteurs et les habitants qui s'étaient retirés dans sa
maison sortiraient avec tels coffres et meubles qu'ils voudraient, et qu'on ne
toucherait pas aux vivres qui se trouvaient à l'évéché. Se confiant dans les
promesses des protestants, l'évêque partit pour Boisse, et les protestants se
mirent aussitôt à piller l’évêché qu'ils détruisirent en partie. Ils allèrent
jusqu'à emporter les bois de la charpente, et ils jouirent des biens et revenus
de l'évêque jusqu'en 1582.
A cette date,
grâce au secours que lui prêta le roi, l'évêque attaqua Issigeac et s'en rendit
maître le 22 juillet. Il fit réparer sa maison, la fortifia, et par commission expresse du roi, il fit
abattre une partie des murailles de la ville. Après avoir séjourné environ deux
mois à Issigeac, l'évêque retourna à Sarlat, laissant une garnison à l'évêché.
Sept ans plus
tard, les protestants vinrent de nouveau assiéger la maison de l'évêque avec
quatre pièces de campagne. Le siège dura six jours. Ce fut l'arrivée de Caumont
La Force avec un régiment et une couleuvrine qui décida les assiégés à
capituler. Ils furent conduits à Saint-Sernin de la Barde.
Après avoir
parlé des exploits des protestants à Issigeac, voyons leur vie religieuse.
D'après les papiers trouvés sur une poutre par la famille Gaillard, il y eut à
Issigeac de 1566 à 1665 :
Vingt et un baptêmes protestants ; Vingt mariages ; Six
conversions.
Comme ministres,
nous voyons figurer entre autres :
1° M. Caussade
qui donne la bénédiction nuptiale à Pierre Delbech et à Marie Captal, de
Bergerac, en 1576.
2° M. Romelius qui vint demeurer à
Issigeac, le 4 août 1577, et qui y était déjà venu auparavant bénir des
mariages et prêcher.
3° M. Baye.
4° En 1581,
c'est un Monbaron qui est ministre. Il devait avoir une certaine valeur à en
juger par le rôle qu'il a joué.
Un synode
paroissial de Bergerac, réuni le 3 mars de cette même année, considérant les
grands besoins de l'église de Casteljaloux, lui envoie pour trois mois M. de
Monbaron. Pendant ce temps, M. Mazet le remplacera. M. de Monbaron fut longtemps ministre
de l'église protestante d'Issigeac. En 1590, un colloque tenu à Sainte-Foy
déclare qu'on ne peut lui ôter ce poste.
En 1594, c'est
lui qui recueille les actes du colloque qui se tint à Issigeac, le 1er
mars, et où fut examinée la question de la conduite à tenir à l'égard d'un
homme et d'une femme accusés d'avoir commis un inceste dans l'église d'Eymet.
Trois ans plus
tard, nous le voyons au colloque de Miremon. Il se plaint de ce que l'église
d'Issigeac ne lui paie pas ses gages.
L'église
d'Issigeac avait des diacres chargés de recevoir les dons et de distribuer les
aumônes. Nous avons le relevé des sommes données en aumônes depuis l'an 1570
jusqu'en 1591. Il commence ainsi : Sensuit
l’argent qui a esté baillé aux pauvres de la bource diceuls par Louis Delbech
et par l’avis du consistoire de lesglise d'Issigeac despuis le 22 octobre
1570.
Parmi les
donateurs, nous voyons figurer Louis Melon, bachelier en droit. Il donne deux
écus ; Pierre Pinsol, cordonnier, donne vingt sols par testament ; Jean Rousset
du Cluseau donne deux écus également par testament.
Les diacres tenaient aussi les comptes de l'église. Ainsi,
le 6 février 1578, Simon de Romelius, ministre de la parole de Dieu en l'église
d’Issigeac, reçoit de Delbech la somme de 51 livres et 13 sols restante du
second quartier de sa pension.
Voici les noms que l'on trouve dans les manuscrits
découverts par la famille Gaillard :
Anne Alba, Guilhen, Fayole, Delbech, Captal, Caussade,
Audoin, Melon, Borie, Delpy, Bordes, Chaumontel, Grebon, Halary, Caunière,
Bran, Guilhonne, Delberoy, Cessat, Delcause, Rigaudie, Grimard, Chaudesmaisons,
Raignac, Palier, Delbure (sonneur de cloche), Thonadre, Peyrouthou, Galuam,
Pinsol, Labernardie, Lalune, Dupuy, Verthamon, Chatanié, Lafon, Mayrinia,
Lartigue, Gammot, Benoyt de Picquet, Lacassagne, Barriac, Thony, Debans,
Collombes, Embarbes, Plancetelle, Berniol, Guiraud, Paris, Monbaron.
Dès l’an 1633, le Parlement de Bordeaux avait défendu sous
peine de 10,000 livres d'amende aux protestants d’Issigeac d'exercer
publiquement leur culte. Cette défense avait été renouvelée en 1636, en 1638 et
en 1664. Comme ils ne tenaient nul compte de ces défenses réitérées, l'évêque
de Sarlat s'adressa à Mgr Pellot, intendant de Guyenne, et celui-ci
ordonna la fermeture de l'église protestante d’Issigeac. Voici l'ordonnance
datée du 3 novembre 1665 :
« Veu la
présente requeste (de l'évêque de Sarlat), les arrêts du Parlement de Bourdeaux
des 21 décembre 1633, et dernier may 1638, les arrests du conseil du 4 novembre
1664, confirmatifs de ceux dudit Parlement, notre ordonnance du septiesme aoust
dernier, les exploits de signification desdits arrests et ordonnances aux
ministres anciens et habitants de la R. P. R. d'Issigeac avec les inhibitions
de contrevenir et de faire aucun exercice public de ladite R. P. R. audit lieu
d'Issigeac, sous les peines portées par les arrests, lesdits exploits, en datte
des 23 janvier et 23 aoust derniers, information faite le même jour 23 aoust
par le juge d'Issigeac, à la requeste du dit seigneur évesque, pour raison de
contravention auxdits arrests et des discours séditieux et scandaleux tenus par
maistre Jean Boière, ministre, dans son presche dudit jour, ensuite de la
signification à eux faite desdits arrests.
Nous ordonnons
que les parties mettront inressamment en estat de juger l'instance renvoiée par
arrest du Conseil du 24 avril dernier, et, cependant par manière de provision
et jusqu'à ce que autrement ait été ordonné, conformément audit arrest du
Conseil du 4 novembre 1664, seront lesdits arrêts du Parlement de Bourdeaux des
23 décembre 1633, et du dernier may 1638, exécutés selon leur forme et teneur.
Ce faisant et à faute par lesdits de la R. P. R. dudit lieu d'Issigeac, d'y
avoir obéi, seront les portes de leur temple fermées et murées aux frais et
dépens desdits de la R. P. R. A ces fins et pour tenir la main à l'exécution
desdits arrests et de la présente ordonnance, enjoignons au vice séneschal de
Sarlat de se transporter sur les lieux avec sa compagnie et y séjourner jusqu'à
ce que les portes aient été fermées et entièrement murées, pendant lequel temps sera
fourni pour chascun jour audit viceseneschal et à ses archers par les anciens
et habitants de ladite R. P. R. dudit Issigeac la somme de 30 livres pour leur
subsistance et à ce faire contraints solidairement, même pour le logement des
archers en leurs maisons, nonobstant oppositions, appellations quelconques, et
sans préjudice d'icelles, comme s'agissant d'exécution d'arrest du Conseil, et
seront tous exploits faits par le premier huissier, archer ou sergent sur ce
requis.
Fait à
Bourdeaux, ce 3 novembre 1665.
L'ordonnance fut
exécutée, et le temple, muré d'abord, fut démoli en 1680. C'est ce que nous
apprenons par une supplique des protestants d'Issigeac demandant un délai de
trois mois pour rendre compte des levées et impositions par eux faites depuis
29 ans. Nous la reproduisons textuellement avec son orthographe :
Monseigneur
de Faucon, seigneur de Ris, chevalier, comte de Bacque ville, marquis d'Acheval,
conseiller du roi en ses conseils, maistre de requestes ordinaire en son
hostel, commissaire député par Sa Majesté pour l'exécution de ses ordres ès la
généralité de Bourdeaux.
Monseigneur,
Les habitans de
ceux de la R. F. R. de la ville d'Issigeac représentent avec respect à Votre
Grandeur que leur ayant été signiffié l'arrest du Conseil d'Estat, portant qu'ils
représentent l’estat des lepvées et impozitions par eux faites depuis
vingt-neuf ans. Ils ont fait tout leur possible à satisfaire à cest arrest,
mais ils ne l'ont peu faire, parce qu'ils ne peuvent pas savoir les anciens quy
estoient en charge avant l'année 1665, que leur temple feust meure et
despuis condamné à estre desmoly, par arrest du Conseil de l'an 1680, attandu
que le livre du Concistoire où est la nomination des anciens feust produit
audit Conseil, lors du jugement dudit temple, comme ce justifie par 1'inventaire
qu'ils raportent signé Gelieu et par une lettre du sieur Janisson, solliciteur
aux affaires desdits comptes, datée du 7 septembre 16.. Et cella les oblige
d'avoir recours à Votre Grandeur aux fins que ce considéré, Il vous plaise,
Monseigneur, leur accorder un déliai de trois mois pour retirer ledit livre et
satisfaire audit arrest, ne le pouvant faire autrement, et les supliants
continueront leurs prières à Dieu pour la santé et prospérité de Votre
Grandeur.
Labrue, suplian tan pour luy que pour les autres abitans.
Ce que devint le
protestantisme à Issigeac à partir de l'époque où le temple protestant fut
démoli, c'est ce que nous ne savons pas. Il est à croire qu'il alla en
déclinant petit à petit. Depuis longtemps déjà Issigeac ne compte plus que deux
familles protestantes.
Nous avons vu
qu'en 1437 Issigeac était retombé sous la domination française, et ce fut, nous
n'en doutons pas, à sa grande satisfaction. On sait que la partie de la Guyenne
rétrocédée par saint Louis à Henri III, accepta très mal cette rétrocession et
refusa pendant quelque temps de reconnaître Louis IX comme Saint.
On ne peut dire,
cependant, que la domination anglaise fut bien lourde. Nous avons vu que les
habitants dTssigeac ne payaient à Edouard Ier que 12 deniers par feu. D'après trois
lettres de Henri IV adressées au gouverneur d’Issigeac, nos aïeux se faisaient
parfois tirer l'oreille pour payer. Voici quelques extraits de ces lettres :
« Monsieur de
Bajouran, j'ai ci-devant envoyé par Poullailles, contrôleur de ma maison, une
commission adressante à Maissonial pour faire crier les rentes dhues à l'évêque de Sarlat à cause de la seigneurie
d'Issigeac au jour de Saint-Michel dernier, quy est cause que je vous ay bien
voulu escrire la présente, pour vous prier, incontinent icelle ressue, faire en
sorte que ledit Maissonial, receveur par moy commis, pour recevoir lesdites
rentes, les reçoive au plutôt dautant que j'ay nécessairement à faire des deniers qui viendront, accompagnant
ou faisant accompagner ledit Maissonial partout où il lui sera nécessaire, afin
que ladite commission soit prontement et entièrement effectuée,
etc. »
Cette lettre est
datée du Fleix, le 10 mars 1580. En novembre de la même année, les habitants
dTssigeac sont de nouveau sommés de payer, et Henri IV les menace des
garnisaires :
« Monsieur
Bajouran, j'envoye présentement Poullailles, controlleur ordinaire de ma
maison, pour faire contraindre les habitants d'Issigeac au payement des lots et
ventes appartenant à l'évêque de Sarlat, à cause de sa seigneurie d'Issigeac,
eschues au jour de la Saint-Michel dernier, suivant la commission que j'en ay ci-devant fait expédier à Maissonnial ; et d'autant
que j'ay entendeu qu'ils font difficulté à payer ce couvrant du prétexte que la
paix est faite, j'ay commandé audit Poullailles de ne bouger de ladite ville et
de s'en revenir qu'il n'aye fait contraindre lesdits habitants au payement
desdites rentes et lots et ventes. Cependant, je vous prie, monsieur de
Baiouran, tenir la main à l'exécution de ma dite commission et faire en sorte
que lesdits habitants payent lesdites rentes, lois et ventes, autrement
j'envoyeray mes gardes loger en ladite Ville quy leur feront
beaucoup plus de mal et de dommage, et sy pour cela ils ne laisseront pas de
payer, etc. (6) ».
Il est à croire que les habitants d’Issigeac s'exécutèrent et que Henri
IV n'eut pas à sévir.
Là s'arrêtent les documents que nous avons pu découvrir concernant la
ville d’Issigeac. Nous savons que jusqu'à la Révolution les évêques de Sarlat y
résidèrent de temps à autre. Ce fut un Fénelon qui, en 1669, restaura l'évêché.
Ce séjour des évêques de Sarlat dans leur maison d’Issigeac procurait parfois à
nos ancêtres la visite d'hôtes illustres, par exemple, celle de l'auteur du Télémaque.
Nous avons une lettre de Fénelon, écrite d’Issigeac, le 16 juin 1681, et
adressée à sa cousine, Mlle de Laval. Le lecteur nous saura gré certainement de
la mettre ici sous ses yeux :
A Issigeac, 16 juin 1681.
On n'a pas tous
les jours un grand loisir et un sujet heureux pour écrire en style sublime. Ne
vous étonnez donc pas, Madame, si vous n'avez pas eu cette semaine une relation
nouvelle de mes aventures : tous les jours de la vie ne sont pas des jours de
pompe et de triomphe. Mon entrée à Carennac n'a été suivie d'aucun événement
mémorable. Mon séjour y a été si paisible, qu'il ne fournit aucune variété pour
embellir l'histoire. J'ai quitté ce lieu-là pour venir trouver ici M. de
Sarlat, et j'ai passé à Sarlat en venant. Je m'y suis même arrêté un jour pour y entendre plaider une cause fameuse par les
Cicérons de la ville. Leurs plaidoyers ne manquèrent pas de commencer par le
commencement du monde, et de venir ensuite tout droit par le déluge jusqu'au
fait. Il était question de donner du pain par provision à des enfants qui n'en
avaient pas. L'orateur qui s'était chargé de parler aux juges de leur appétit,
mêla judicieusement dans son plaidoyer beaucoup de pointes fort gentilles avec
les plus sérieuses lois du code, les Métamorphoses d'Ovide et des passages terribles de l'Ecriture-Sainte. Ce mélange si conforme aux règles de l'art
fut applaudi par les auditeurs de bon goût. Chacun croyait que les enfants
feraient bonne chère et qu'une si rare éloquence allait fonder à jamais leur
cuisine ; mais, ô caprice de la fortune, quoique l'avocat
eût obtenu tant de louanges, les enfants ne purent obtenir du pain. On appointa
la cause; c'est-à-dire, en bonne chicane, qu'il fut ordonné à ces malheureux de
plaider à jeun, et les juges se levèrent gravement du tribunal pour aller diner.
Je m'y en allai aussi, et je partis ensuite pour porter vos lettres à M. de
Sarlat. Je suis arrivé ici presque incognito pour
épargner les frais d'une entrée. Sur les sept heures du malin, je surpris la
ville, aussi il n'y a eu ni harangue, ni cérémonie dont je puisse vous régaler.
Que ne puis-je, pour réjouir Mlle de Laval, vous faire part des fleurs de Rhétorique qu'un prédicateur de
village répandit sur nous, ses auditeurs infortunés ; mais il est juste de
respecter la chaire plus que le barreau. »
(…)
(1)
Le texte latin
de la coutume d'Issigeac a été publié par M. Elie de Biran dans le Bulletin, tome III, page 399. Nous en donnons ici la traduction complète. M. de Biran en
avait traduit quelques passages, et nous nous sommes servi de sa traduction.
(2)
Impôt sur les
productions de la terre et sur les marchandises. (Voir Ducange.)
(3)
Impôt perçu
sur les chemins et au passage des rivières. (Voir Ducange.)
(4)
Au lieu de
répéter item devant chaque article, nous avons préféré, pour plus de clarté, mettre I., II., etc.
(5)
Cette pièce
importante a été publiée la première fois par MM. Martial et Jules Delpit en 1341.
(6)
Ces lettres ont été publiées avec
plusieurs autres par M. l'abbé Goustat.
P. Bouscaillou, prêtre
de l'Oratoire.